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15 mai 2018 2 15 /05 /mai /2018 13:41

L’état d’insalubrité de nos rues semble indiquer que «jere fatra» est le dernier de nos soucis. Les montagnes d’immondices décorent nos rues. Nos chiens y trouvent refuge, et partagent à coeur joie le buffet avec les chats, les rats, et même avec des enfants les plus démunis. On devient habitué avec leurs odeurs nauséabondes et pestilentielles. Tout s’accommode, après tout. On « vit »! Mais, savons-nous que nos déchets solides mettent à nu notre quotidien de vie, tant au niveau individuel qu’au niveau de population ? Savons-nous qu’ils disent long sur notre niveau de développement économique et social, notre niveau d’éducation et nos capacités à comprendre et à résoudre nos problèmes quotidiens ? Somme toute, les déchets sont-ils seulement nos produits ou sommes-nous aussi les leurs ?

La production de déchets fait partie du quotidien, comme le manger ou le boire. Au niveau individuel, la quantité et les types de déchet produits varient selon nos besoins de consommation et notre capacité économique à se procurer des biens pour combler ses besoins. Au niveau agrégé, elle résulte de l’effet combiné de la taille de la population et du niveau de développement économique d’un pays. La production de déchets serait un indicateur de consommation, et par extension, de revenu et bien-être économique. Une cartographie des déchets révèlerait nos habitudes alimentaires et leurs variations au cours de l’année ainsi que nos problèmes et nos inégalités sociales sur le plan de nutrition et d’autres biens basiques. En d’autres mots, ce serait déjà un outil de prise de décision de politique publique.

En outre, l’effet démographique fera augmenter considérablement notre production de déchets. L’augmentation de l’espérance de vie et l’effet d’inertie démographique feront accroitre considérablement la taille de la population sur les deux prochaines décennies. Si cet accroissement démographique s’accompagne d’un développement économique même minimal, la consommation nationale va exploser, et donc notre production de déchets. Imaginons comme nous allons vivre au milieu des montagnes d’immondices dans les années à venir si nos gouvernements, le secteur privé et d’autres acteurs de la société continuent à prétendre qu’ils ont un problème d’odorat !

Point n’est besoin d’évoquer les conséquences transversales de notre faible capacité à gérer à nos propres déchets. Sur le plan de santé, ces ordures sont des nids de maladies telles que des intoxications alimentaires, fièvre typhoïde, choléra, etc. L’accumulation et la décomposition d’ordures à l’air libre seraient à l’origine de la prolifération de beaucoup de microbes, parasites et autres vecteurs de maladies comme les salmonelles, mouches, moustiques, rats, souris. Leurs odeurs que nous respirons à la longueur de la journée sont susceptibles de provoquer des phénomènes allergiques et même des pneumonies sans oublier les gaz toxiques que ces ordures dégagent. La contribution de ces ordures dans notre charge de morbidité et des causes de mortalité est d’autant plus grave avec un système de santé qui est largement déficient. Soyons honnêtes avec nous-mêmes : « Mikwòb tiye ayisyen! »

Le problème de mauvaise gestion des ordures est aussi d’ordre environnemental. Haïti reste l’un des pays très exposés aux désastres naturels. L’accroissement anarchique de nos « villes », sans plan d’urbanisme et sans un système d’évacuation des eaux usées rend le pays vulnérable aux intempéries. Ajouter à cela, nos ordures remplissent le peu d’égouts et de ravins dont nous disposons. Après chaque saison pluvieuse, nous comptons nos morts sans oublier la résurgence de certaines maladies infectieuses, le choléra entre autres. Il faut ajouter aussi que ces ordures sont une pollution esthétique de notre espace de vie, pour un pays qui voudrait parler du tourisme. Ces piles d’ordures, ne nous mentons pas, constituent l’image que nous projetons du pays. C’est notre image, « se figi reprezantan nou yo ! »

Tout cela pour dire que le contrôle des déchets devrait être une priorité pour toute population, pour tout gouvernement qui se respecte. Contrairement à notre manière de faire, « jere fatra se yon gwo koze », c’est d’abord une question de compétence, de recherche et de planification! Comment pouvons-nous faire une bonne allocation de nos ressources limitées, si l’on n’arrive même pas à estimer notre production de déchets, à étudier sa tendance et sa saisonnalité, à la cartographier de manière périodique et à faire des projections? Comment déterminer le corridor optimal de ramassage tenant compte des ressources disponibles et allouées et du problème de trafic de la journée, entre autres? Si une politique nationale de gestion des déchets est nécessaire, un système de ramassage décentralisé ne serait-il plus approprié tout en responsabilisant les acteurs locaux et les citoyens? Où devrions-nous construire les centres de tri, de recyclage ou d’autres traitements des déchets compte tenu des besoins actuels et futurs et du plan de développement des espaces urbains sur les 25-30 prochaines années? Que ferons-nous avec les déchets collectés? Comment influencer le comportement de la population par rapport à la problématique des déchets?

Après tout, plus d’un se pose la question : sommes-nous vraiment capables de gérer nos fatras?

James Lachaud

Publié dans le quotidien le national, 14 mai 2018:

 http://www.lenational.org/jere-fatra-une-priorite-negligee/

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